André Fraigneau, le Livre du Centenaire

Collectif

André Fraigneau eût détesté qu’on le rangeât parmi les “ écrivains maudits ”, avec le romantisme complaisant qui s’attache souvent à ce statut de génie déclassé, réduit à l’état d’épave. Du statut en question, nos poètes sont la plupart du temps aussi responsables que victimes. Fraigneau avait trop le sens du maintien, autant dans la vie que dans l’art, et d’un maintien de préférence aristocratique (pour employer un adjectif un peu oublié, parce que honni des bien-pensants) pour se satisfaire d’une étiquette aussi galvaudée et bien peu conforme à son élégance native. Le silence (certes de plus en plus relatif, d’où l’agacement de certains) qui entoure l’une des œuvres les plus éblouissantes – ou foudroyantes, préférait dire Jacques Laurent – du XXe siècle, ce silence est celui, non d’une “ malédiction ” névrotique, mais du secret, dans les deux acceptions : initiatique et carcérale. On a tenté d’étouffer ses livres au fond des dernières oubliettes de la République comme on a fait aussi de Montherlant : moins pour des raisons politiques ou commerciales que d’allure. […]
La quête de la beauté et l’exigence spirituelle requièrent des qualités d’alchimiste, dont les moindres ne sont pas un certain goût de la solitude, une acceptation de l’ascèse qui peut aller jusqu’au dépouillement. Les lecteurs de Papiers oubliés dans l’habit ont mesuré ce parcours ; quelques-uns même, qui avaient lu trop vite les autres livres, avec stupeur.
Comme Agathocle de Syracuse à l’assaut de Carthage, André Fraigneau a brûlé ses vaisseaux pour se couper toute retraite. C’est ce qui laisse aux meilleurs de ses écrits des reflets d’incendie nocturne, entre deux grâces juvéniles, deux éclats de rire au soleil.
M. Mourlet